Andréa est convoquée pour un entretien et fait face à deux administratrices étranges qui l’interrogent sur sa vie professionnelle et personnelle. Rapidement, les questions deviennent de plus en plus intimes. Sans savoir ni pourquoi ni comment, elle se retrouve prise au piège d’une administration autoritaire qui l’oblige à prouver son homosexualité. Elle parvient à fuir sa captivité à l’aide d’un mystérieux compagnon de voyage et entame alors un périple à travers des terres inconnues pour retrouver sa femme Sara. Survivra-t-elle à cette traversée d’une mer sans piste ?

La poésie peut-elle gagner sur la bureaucratie ?

« Mer sans piste » est une pièce de théâtre adaptée pour trois ou quatre acteur.ices. La pièce part d’une réalité absurde et bascule dans une dystopie poétique. Elle explore nos perceptions de la migration, la sexualité, l’identité et les relations. 

Le premier acte est inspiré des œuvres rudes et bouleversantes de la dramaturge britannique Sarah Kane. Et également, d’un fait bien réel. Si vous êtes persécuté dans votre pays d’origine à cause de votre orientation sexuelle, vous pouvez demander l’asile dans un autre pays. Si vous le faites, vous devez prouver votre sexualité dans un interrogatoire. Une situation à la fois déroutante et effrayante. 

L’histoire de « Mer sans piste » part d’une scène similaire, elle cite même des questions qui sont réellement posées dans ces interrogatoires en Suède. La pièce quitte ensuite rapidement la réalité et la situation dérape pour la protagoniste Andrea. Les problèmes sont les mêmes dans notre monde et dans celui d’Andréa. Pourquoi laisserait-on des frontières invisibles dicter le fait de vivre une vie dans la misère ou le luxe ? Où aller quand la terre entière appartient à quelqu’un d’autre ? 

Le deuxième acte est imprégné de la poésie féminine suédoise du début du 20ème siècle et de son usage de la nature comme métaphore des états d’âme humains. Andrea doit traverser des terres inconnues et une mer sans piste pour finalement trouver une île protégée. Malheureusement, cette île n’existe pas dans notre monde et des milliers de personnes se noient sur les frontières de l’Union européenne chaque année. Mais dans cette pièce, la poésie prime sur la réalité. En s’inspirant de la Tempête de Shakespeare, Andrea survit à sa propre tempête.

Evelina IVARSSON

La mise en scène a pour objectif de mettre en valeur l'intention de l'autrice. Une mise en scène épurée permettra au spectateur de laisser libre cour à son imagination et donnera un côté féerique et mystérieux à certains passages de l'histoire. Les changements d'atmosphère et de lieux seront suggérés par l’ambiance sonore et lumineuse. 

Dès le début de la pièce, on se retrouve plongé dans un lieu clos, sombre, vidé de son humanité et faisant penser à une salle d'interrogatoire. Seule Andréa est éclairée, puis la table et les trois chaises. L'espace est inconnu, on ne sait ni où, ni quand, ni pourquoi elle se retrouve ici, jusqu’à ce que les deux administratrices arrivent. Elles sont très froides, sauf lorsqu'elles se parlent entre elles. On assiste alors à un duo presque clownesque, permettant de mettre davantage en lumière l'absurdité de la situation. Lorsque l’interrogatoire prend fin, Andréa se retrouve seule et prisonnière d’une administration autoritaire. Soudainement, le personnage du Bouffon apparaît, c'est lui qui aide Andréa à se sauver. Il est mystérieux, presque mystique, on ne sait pas très bien s'il existe réellement ou s’il s’agit d’une personnification de la conscience d’Andréa. Il disparaît avant le dénouement, ses derniers mots résonnant en voix off. 

Lorsque Andréa réussit à s’évader, l'atmosphère bascule et le rythme change. La mise en scène jouera sur les effets sonores et un jeu d’ombres pour donner vie aux différents paysages qu'Andréa traverse. La fuite d'Andréa, narrée par la Bouffon, est chorégraphiée. La danse permet de donner une note d'espoir à cette fuite qui est certes une cavale mais une cavale guidée par le besoin de retrouver la femme qu’elle aime, Sara.

Laura Sénécal